L’euro au service du citoyen européen et du climat
La solidarité est une des valeurs fondatrices du projet européen. Force est de constater qu’aujourd’hui cette solidarité entre États membres, entre régions, entre citoyens, entre travailleurs est mise à mal. Les États membres se font concurrence mutuellement sur leurs régimes fiscaux. À ce petit jeu, c’est le citoyen européen qui se trouve lésé. Faire converger, au niveau européen, la fiscalité sur les revenus des capitaux des entreprises est indispensable. Mais il n’y a pas qu’en matière fiscale que la coopération doit se renforcer. Au niveau social, la concurrence entre travailleurs en Europe a souvent renforcé le sentiment d’une Europe qui ne protège pas ses citoyens.
Pour construire un espace économique commun et préserver ses capacités financières, l’Europe doit œuvrer à la convergence fiscale et salariale par le haut et poursuivre la lutte contre le dumping et la fraude fiscale. Une règle simple doit prévaloir : les activités qui sont réalisées dans un pays doivent respecter les dispositions sociales de ce pays, tant du point de vue de la rémunération que des contributions sociales.
L’une des propositions avancées en cette matière consiste à créer un budget de la zone euro appelé « instrument budgétaire ». Ce budget permettrait à des pays qui connaîtraient une brusque chute du PIB et/ou une augmentation du chômage de pouvoir en disposer temporairement à condition de mettre en œuvre les recommandations spécifiques qui leur sont adressées dans le cadre du semestre européen. Ce budget s’élèverait à 1% du PIB de la zone euro, à savoir 100 milliards d’euros. Ce budget serait alimenté par les bénéfices de la BCE (20% de ces bénéfices réaffectés à la BCE, le reste versé aux banques centrales nationales).
Une seconde proposition consisterait à créer des euro-obligations émises tant par la Commission européenne que par la BEI ou encore celles émises par le mécanisme européen de stabilité. Ces euro-obligations bénéficieraient de la garantie solidaire de tous les États membres avec la garantie de la BCE, ce qui en ferait des obligations véritablement sans risque.
Une troisième proposition consiste à mettre en œuvre un impôt des sociétés européennes avec une règle simple, l’impôt doit être prélevé sur le lieu où a lieu l’activité.
Une quatrième proposition consiste à établir une taxe sur les transactions financières puisque les banques, principale cause de la crise de 2008 ont pu bénéficier d’aides publiques pour éviter qu’elles ne s’écroulent. Cette taxe bien qu’elle ait fait l’objet d’un accord entre onze États membres dès 2015 n’est toujours pas mise en œuvre.
Enfin, une cinquième proposition consiste à poursuivre la lutte contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale. La première coûte pour la Belgique environ 30 milliards d’euros, la seconde environ 20 milliards d’euros.
Bien que très utiles, toutes ces propositions ne sont cependant pas encore suffisantes.
La RTBF du 28 décembre 2018 dans un communiqué titrait :
L’endettement public, sur le devant de la scène en 2019 ? L’endettement public risque-t-il de revenir sur le devant de la scène en 2019 et de peser comme facteur de risque un peu partout dans le monde ? C’est en tout cas l’avis de Mikael Petitjean, professeur de finance à l’UCL et à la School of Management, surtout si les taux repartent à la hausse. « C’est un risque que l’on ne peut négliger. On a commis beaucoup trop d’erreurs dans le passé, notamment durant les années 70 et les années 80, dans une politique qui a laissé filer les déficits et où les dettes se sont accumulées, et je pense qu’il faut absolument faire tout pour éviter de reproduire ce genre de dérive. Et avec une augmentation éventuelle des taux d’intérêt que l’on peut anticiper à un horizon d’investissement moyen, ça risque effectivement de resurgir. On le voit déjà dans le sud de l’Europe et en particulier en Italie, et on voit que la France est de nouveau en train de lâcher du lest à ce niveau-là. C’est un sujet de préoccupation majeure, peut-être pas pour notre génération, mais très certainement pour les générations futures.»
Selon Romain Pastager (pour l’Audit Citoyen de la Dette) la dette est « un mal qui répand la terreur, la dette, semble être venu se rappeler à nos comptes depuis plusieurs années. Enjeu politique et économique, celle-ci semble commander les grandes orientations économiques de l’Europe plongée dans la crise. En Belgique, le remboursement de la dette pèse environ 25% du budget annuel de l’État. Cela pose donc des questions, mais qui sont jusqu’à maintenant niées par les autorités publiques et les grands médias. »
Il ajoute : « (…) jusqu’à présent, les réponses à cette crise ont pour l’essentiel suivi une doxa commune à toute l’Europe, sous différents oripeaux : l’austérité. De grands producteurs de discours (institutions, gouvernements, experts, etc.) prétendent en effet que l’État a vécu en fanfaron au-dessus de ses moyens et qu’il nous faut réduire les dépenses publiques. Le système fonctionne de telle manière que la spirale de la dette ne cesse d’augmenter. » Afin de limiter leur déficit budgétaire et éviter les mauvaises notes auprès des agences de notation et ainsi rassurer les marchés, les États empruntent aux institutions financières privées. Ces dernières empruntent à leur tour la somme demandée à la BCE à des taux ridiculement bas, pour la prêter ensuite aux États à des taux pharaoniques, et empochent la différence. Ces États, qui ont renoncé à réguler le secteur financier, n’ont d’autre choix que de rembourser des sommes toujours plus grandes, creusant leur propre dette dans un cercle vicieux [i]».
Il plaide dès lors en faveur de l’annulation d’une partie de la dette, mais également en faveur d’un audit citoyen et un contrôle régulier de la dette.
« Car la question du règlement de la dette touche bien à celle, plus large, de la démocratie. Si l’on ne veut pas que les élections s’appauvrissent en un choix comptable, il faut pouvoir sortir du carcan idéologique et économique où l’Europe s’est laissée enfermée. »
Peut-on sortir de ce carcan idéologique dont parle Romain Pasteger et surtout comment ?
Faisons un état des lieux de la question.
La Banque Centrale Européenne (BCE) décide en novembre 2014, et ce après la crise de 2008 de créer 1000 milliards d’euros pour sauver la croissance. Le Président de cette banque, Mario Draghi décide de lancer une vaste opération de création monétaire régulière et de longue durée pour sauver la croissance. L’opération est simple, il s’agit de racheter à hauteur de 80 milliards d’euros par mois les dettes publiques. La BCE va même jusqu’à prêter de l’argent aux entreprises. La question se pose dès lors de savoir pourquoi ne pas prêter directement aux États.
Tout d’abord, il convient de savoir que pour que les États puissent emprunter auprès de la BCE, il faudrait une révision du Traité de Maastricht. Actuellement un tel prêt est interdit. Parmi les raisons invoquées pour justifier cette interdiction, l’une d’elles consiste à dire que les États membres seraient trop dépensiers et qu’il conviendrait donc de discipliner leurs dépenses en les obligeant, lorsqu’ils ont besoin de liquidités, à emprunter auprès des banques privées. Or un emprunt auprès d’une banque privée ce n’est pas exactement la même chose qu’un emprunt auprès d’une banque publique, la BCE en l’occurrence. Il y a, en effet, une différence de taux d’intérêt allant de 30 à 50 fois, voire plus, supérieur aux taux accordés par la BCE.
Cette différence du taux d’emprunt est actuellement payée par les contribuables, elle diminue par là même, le pouvoir d’achat des citoyens européens. La conséquence est que la dette des États membres ne cesse d’augmenter au point que le poids de la dette devient ingérable. Le cas de la dette grecque en est une illustration exemplative. Le citoyen grec a vu, du jour au lendemain, son revenu baisser de 50%.
C’est pour éviter que cela ne se produise dans d’autres pays européens fragilisés (Espagne, Italie, France, etc.) que la BCE s’est mise à acheter des titres de la dette publique et privée alors même que ce type d’opération n’est pas inscrite parmi ses missions.
Cette nouvelle politique de rachat des dettes publiques par la BCE démontre une évidence politique : si un consensus politique au niveau européen est trouvé, alors il est possible de faire face aux multiples défis auxquelles sont confrontées nos sociétés.
Ces rachats de dettes publiques (et privées), alors même qu’ils ne sont pas prévus dans le Traité de Maastricht, en sont les expressions les plus évidentes.
Ces rachats s’élèvent aujourd’hui à 80 milliards d’euros par mois, récemment réduit à 60 milliards.
Les objectifs de ces rachats étant la relance de l’économie, la diminution de l’inflation et la croissance de la zone euro. Or aujourd’hui, ce rachat n’a pas produit les effets escomptés. La croissance dans la zone euro s’est même détériorée.
La création monétaire de la part de la BCE depuis 2014 à aujourd’hui est estimée à 2500 milliards d’euros. Sur la même période, les banques privées n’ont distribué que 280 milliards de crédits, soit 11 % des sommes mises à disposition par la BCE.
Où est passé le reste ? L’essentiel est parti alimenter la spéculation sur les marchés financiers. Que font nos gouvernements ? De plus en plus, les actions des banques centrales sont décalées par rapport aux attentes des citoyens. Certains réclament de plus en plus moins d’indépendances pour les banques centrales pour que ceux-ci décident avec les parlements et les gouvernements des objectifs de la politique monétaire. Cela est une nécessité pour la BCE également.
Pour prendre l’exemple de la Belgique, la dette publique atteint 103% du PIB, soit 465 milliards d’euros. Cette dette est détenue dans son écrasante majorité par des Institutions financières (banques privées). Elle coûte en moyenne 42 milliards d’euros par an, dont 10 milliards en intérêt (rien que ces intérêts permettraient de payer les pensions…).
Depuis 1980, la Belgique a remboursé avec nos impôts plus de 550 milliards d’intérêts. En 2016, le remboursement de la dette a coûté 43 milliards, dont 12 milliards en intérêt. La fraude fiscale coûte chaque année à la Belgique 30 milliards d’euros. L’impôt sur les sociétés est officiellement de 33,99%, mais dans les faits, il est de 12% et de 1% pour les plus grandes entreprises, soit un manque à gagner pour l’État de 20 milliards d’euros par an. Enfin le sauvetage des banques en 2008 a coûté 40 milliards (33 milliards sans les intérêts de retour entre 2008 et 2012). Plus de 70% de la population majeure est endettée et 4% sont en défaut de paiement.
On pourrait faire le même constat pour pratiquement tous les pays de l’UE y compris l’Allemagne dont la dette publique a dépassé les 60% (critère de Maastricht) et se situe autour de 64% du PIB.
Mes propositions
- La dette publique doit cesser d’être un frein à la croissance, à l’investissement, à la création d’emploi et aux solutions qui s’imposent face à l’urgence climatique et sociale. C’est pourquoi il serait tout à fait justifié de confier la gestion et le remboursement de la dette publique à la BCE ainsi qu’elle a déjà commencé à le faire. Cela nécessite, comme déjà évoqué, une révision du Traité de Maastricht.
- Obliger tous les États membres à avoir un surplus budgétaire de 2%
- Orienter les États membres à emprunter auprès de la BEI pour tout financement lié à des investissements publics.
- En cas de besoin de liquidités justifiées, la BCE doit être en mesure d’accorder des prêts aux États membres à des taux de 0,1%
- Obliger les États membres à consacrer les sommes épargnées (vu qu’ils ne sont plus tenus de rembourser leur dette publique, confiée à la BCE) vers les urgences sociales et climatiques.
- Arrêter la fuite des capitaux et soutenir l’épargne européenne.
- Arrêt immédiat du dumping fiscal et social par un mécanisme de convergence et d’un plancher minimum.
- Inciter les institutions financières européennes à investir dans la zone euro à hauteur de 50%, à hauteur de 40% dans l’UE et 10% dans les pays hors UE.
- Inciter les entreprises européennes et pouvoirs publics à commercer en euro et en monnaie locale selon le pays avec lequel le commerce se fait.
- Création d’une politique commune de défense et de solidartié vis-à-vis des pays les plus proches.
[i] Romain Pasteger. Pour l’Audit Citoyen de la Dette (ACIDe) Liège. https://www.calliege.be/salut-fraternite/88/la-dette%E2%80%89-cause-de-la-situation-economique-actuelle%E2%80%89/