Entretien avec Cédric du Monceau

Entretien avec Cédric du Monceau

Selon vous, les États-Unis jouent un rôle hégémonique dans le concert économique des nations,  grâce au pouvoir exorbitant de leur monnaie, le dollar US. Pouvez-vous nous expliquer ce phénomène ?

D’abord, l’argent circule dans l’économie comme les globules de sang circulent dans notre organisme. Et, depuis la décision unilatérale du Président Nixon (15 août 1971), les réserves de change qui, jusque là, étaient constituées d’or, le sont dorénavant en monnaie-papier seulement et principalement en dollars.

Et disposer de réserves de change donne du pouvoir. Paul Volcker, directeur de la Federal Reserve (Banque centrale des USA) de 1979 à 1987, ne disait-il pas : « le dollar c’est notre monnaie, mais c’est votre problème » ?

Et le poids des réserves des États-Unis est, en effet, exorbitant. Voyons ce premier graphique :

On voit que les réserves mondiales en dollars – zone de couleur saumon – représentent plus de 60% de la totalité. La seconde zone, bleue, est celle des réserves en euros, environ 20%. Les autres zones du graphique sont très faibles, en particulier la zone noire du RMB (monnaie chinoise, le renminbi). Notons au passage que livre sterling (GBP) reste présente pour près de 5% des réserves mondiales.

Ce poids du dollar confère aux États-Unis une force exceptionnelle dans les transactions internationales.

A l’inverse, ces réserves, correspondent aux déséquilibres des échanges. Voyons un second graphique :

Ici, nous avons les détenteurs des réserves. Les USA n’apparaissent, sous le label ‘Amérique du Nord’ que pour les réserves en monnaies étrangères qu’ils peuvent détenir. Mais la Chine détient la plus forte masse de réserves, essentiellement en dollars, grâce au déséquilibre, en sa faveur, de sa balance commerciale avec les USA. Ainsi la Chine détient une grosse dette américaine. En l’occurrence, il s’agit ici d’une faiblesse des États-Unis à laquelle le Président Trump voudrait remédier en rééquilibrant cette balance commerciale, c’est-à-dire en musclant les exportations américaines vers la Chine, et en réduisant le poids  des importations en provenance de Chine.

En quoi cette dominance du dollar dans les réserves donnent-elles du pouvoir aux États-Unis ? Pouvez-vous illustrer cela ?

Prenons l’exemple de la Sonaca, ou d’Airbus. Ces sociétés aéronautiques paient les salaires de leur personnel en euros, mais achètent des matières premières ou des composants, et vendent leurs produits finis, sur le marché international en dollars. Pour prévenir d’éventuelles pertes de change entre la signature de leurs contrats et leur réalisation, ces sociétés doivent s’assurer contre ces risques de change auprès de grands assureurs qui, eux-mêmes s’assurent auprès de très gros opérateurs appelés réassureurs. Ces assureurs et réassureurs ont besoin d’opérer sur de très gros marchés financiers. Le seul marché de taille suffisante est le marché américain, en dollars. C’est cela qui force les grands opérateurs économiques mondiaux à passer leurs transactions en dollars.

De plus, les États-Unis se sont donné « un mur de législations extrêmement touffues, avec une intention précise qui est d’utiliser le droit à des fins d’imperium économique et politique dans l’idée d’obtenir des avantages économiques et stratégiques » selon le député français Pierre Lellouche[1]. Dans cet arsenal juridique, figure notamment la loi Dodd-Frank (2010) qui confère à la Securities and Exchange Commission (SEC) le pouvoir de réprimer toute conduite qui, aux États-Unis, concourt de manière significative à l’infraction, même lorsque la transaction financière a été conclue en dehors de leur territoire et n’implique que des acteurs étrangers. La même année, le Foreign Account Tax Compliance Act (Fatca) donne au fisc des pouvoirs extraterritoriaux. Les banques étrangères sont contraintes de devenir ses agents et de livrer toutes les informations sur les comptes et avoirs des citoyens américains, des résidents fiscaux américains et des binationaux.

L’Eurozone, de son côté, ne dispose, ni d’un marché financier suffisant pour s’imposer dans les transactions internationales, ni d’un pouvoir juridique équivalent.

Le système financier international, tel qu’il existe, bien que déséquilibré, est-il suffisamment stable ?

A mon sens, il ne l’est pas. Je voudrais illustrer mon raisonnement par un troisième graphique :

Ce graphique représente l’évolution du bilan des banques centrales (Fed = USA ; BoJ = Japon ; ECB = Banque centrale européenne ; BoE = Angleterre), avec pour base 100, leurs bilans en 2008.

On voit sur ce graphique qu’à la suite de la crise de 2008, les banques centrales ont développé leurs bilans, par de la création monétaire en masse. Cela a contribué à relancer l’économie (production et emploi) par la politique des taux bas, et aidé les États à contenir ou réduire le poids de leurs dettes publiques en finançant leurs déficits par des emprunts à des taux très faibles.

Mais cela a mis en circulation des masses monétaires qui n’ont pas atteint un autre but recherché, à savoir une remontée de l’inflation pour atteindre l’objectif de 2% l’an. Par contre de telles masses monétaires nourrissent la spéculation et la formation de bulles financières, sources potentielles de nouvelles crises.

A mon avis, cet accroissement énorme de la masse monétaire a surtout permis d’acheter du temps, avant une nouvelle crise…

Venons-en plus spécifiquement à notre espace monétaire commun, l’Eurozone. Quel serait l’intérêt de renforcer l’importance de l’euro comme monnaie de réserve, par exemple en augmentant sa surface à hauteur de 40%, ramenant ainsi celle du dollar à une hauteur équivalente, et permettant au renminbi chinois de prendre aussi sa place ?

D’abord, en tant que démocrate et humaniste, je ne puis tolérer l’hégémonie du dollar dont nous venons de parler. Mais, pour les mêmes raisons, je ne souhaite pas que l’euro devienne, à son tour, une monnaie dominante. Je souhaite que chaque pays dispose, dans le concert économique et financier des nations, d’un poids équitable par rapport à sa réalité économique et démographique.

Dans cette perspective, quelles mesures faudrait-il prendre, d’après vous, pour consolider l’euro ?

Il faudrait remédier à l’asymétrie interne à la zone monétaire. Dans cette zone, nous avons un pays leader – l’Allemagne – qui tire un bénéfice usurpatoire de sa force économique, par les taux privilégiés qu’elle obtient sur les marchés financiers. A l’inverse, les pays périphériques, plus faibles économiquement, sont pénalisés par des taux d’intérêt plus élevés auxquels ils peuvent se financer sur ces marchés. Ce déséquilibre crée des insatisfactions internes qui minent la cohésion des pays membres de la zone euro.

Pour pallier cette asymétrie, il faudrait mutualiser suffisamment nos dettes, à hauteur d’au moins 25%. Un plus grand marché de la dette, assis sur l’ensemble de la zone, serait plus grand et, en conséquence, plus équitable ; chacun bénéficiant du meilleur taux de financement.

Une zone euro renforcée pourrait jouer un rôle international plus important. Elle répondrait ainsi à une véritable attente du monde extérieur qui espère ce rôle international plus grand de l’euro, pour se libérer de l’hégémonie du dollar. La Chine, notamment, souhaite diversifier ses réserves. Les grands états en situation excédentaire veulent répartir leurs réserves. Ils accueilleraient volontiers une plus grand place à l’euro.

L’Europe devrait s’appuyer sur ses propres forces : le plus grand marché du monde ; l’espace économique disposant de la plus forte épargne ; et celui qui réalise le plus d’investissements extérieurs dans les mondes émergents et en développement.

 

 

 

 

 

 

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