Yves du Monceau n’était pas nécessairement optimiste. Ne dit-on pas d’ailleurs qu’un optimiste est un pessimiste mal informé ? Il n’était pas non plus pessimiste car c’est une attitude paralysante. Non, il était un mélioriste car il considérait que le monde pouvait être amélioré par l’effort des Hommes. »
Mark Eyskens (CD&V, ex-CVP), l’ancien Premier ministre et ministre d’État, n’a, à 85 ans, rien perdu de son éloquence. Ce dimanche matin, à l’occasion de l’inauguration de l’auditoire Yves et Rainy du Monceau de Bergendal (CDH, en PSC) au sein du Musée L, il est revenu sur la carrière d’un bourgmestre qui, pendant trente ans, aura eu « une grande prévoyance et une vision à long terme » pour sa ville d’Ottignies-Louvain-la-Neuve.
Un cri d’une « obscénité intolérable »
Sans revenir sur la décision de son père, Gaston, qui avait proclamé la scission de l’UCL dès 1958, Mark Eyskens n’a toutefois pas pu s’empêcher de la replacer dans son contexte. Particulièrement en 1962 lors de la fixation de la frontière linguistique : « Les Flamands avaient alors octroyé des facilités aux Francophones dans la grande périphérie de Bruxelles. Mais à une époque où l’on assistait à une hausse démographique combinée à une démocratisation de l’enseignement supérieur et à une féminisation des étudiants, d’aucuns ont craint que les facilités allassent s’étendre comme une tache d’huile entre Bruxelles et Louvain. »
Quatre ans plus tard, le « Mandement des Évêques » allait remettre le feu aux poudres : « Dans cette lettre plus ou moins infaillible, inspirée par le Saint-Esprit, les évêques insistaient sur le maintien d’une université unitaire à Louvain, mais avec des possibilités de décentralisation en Flandre comme en Wallonie (Bruxelles ou Namur). Par coïncidence extraordinaire, naissait un mouvement international contre la guerre au Vietnam ou contre le communisme en Hongrie. Comme professeur de l’UCL, j’ai ainsi pu, en compagnie de deux collègues hollandais, découvrir des jeunes crier “Walen Buiten” dans les rues de Louvain. Un cri raciste, d’une obscénité intolérable et assez lamentable. Et en plus mal traduit du français au flamand, car il aurait fallu dire “Walen eruit”. Bref, ce n’était pas ainsi que l’on allait régler le conflit. Mais on était loin de ce que le “Tisserand”, M. De Wever, explique aujourd’hui comme l’expression du nationalisme flamand. Preuve en est que la KUL accueille aujourd’hui 48.000 étudiants et l’UCL 30.000 autres. Il n’y aurait jamais eu assez de place pour tous les accueillir dans la petite ville de Louvain. »
Faire grandir la population
Toujours est-il que c’est là qu’Yves du Monceau intervient. Ce que l’UCL souligne aujourd’hui dans un auditoire en son honneur. « Il fait partie de ces hommes sans qui Louvain-la-Neuve n’existerait pas, a commenté Anne Querinjean, la directrice du Musée L, qui a déjà attiré 19.000 visiteurs en six mois, contre 10.000 entrées seulement par an dans l’ancienne implantation. Toujours, il a considéré que l’aspect culturel, et ce musée qu’il a soutenu financièrement, était une manière de faire grandir la population de sa commune. »
Cedric du Monceau, le fils, ne pouvait qu’abonder : « Mon père aimait beaucoup se promener autour du lac de Louvain-la-Neuve. C’est là qu’avec sa femme il s’est mis à rêver avec le projet de l’architecte Kurokawa. Pour lui, le musée était, comme un miroir, l’occasion d’honorer ses racines. Et comme un musée, c’est aussi un temple, c’est normal de s’y retrouver un dimanche. »
Le « sang des Sans-culottes »
Et, en présence de son frère Diego, d’honorer tous les hommes et femmes politiques qui auront permis de maintenir l’œuvre de son père : « Moi-même, je ne serais pas là s’il n’y avait pas eu cette obsession qu’il avait de parfaire sa ville. On a souffert de ses absences, mais cela nous a formés aussi, je dirais que cela nous a forgés. J’ai essayé d’attirer son attention en travaillant un peu partout dans le monde, mais je n’ai vraiment ressenti son regard que lorsqu’il m’a vu prendre une simple place de conseiller communal. Et plus je vieillis, mieux je comprends à présent son combat. Cette salle est sans doute un symbole, mais elle me fait comprendre que l’on peut très bien descendre d’une famille anoblie par Napoléon, mais garder le sang des Sans-culottes. »
Et Mark Eyskens de revenir sur la scission : « J’étais alors président du conseil d’administration de l’UCL-KUL. J’ai par exemple assisté au partage de la porcelaine de Chine, don de la famille de Spoelberch. Des experts avaient divisé la collection en lots et c’était extraordinaire de constater que les Flamands et les Francophones voulaient la même théière. Il a fallu procéder au tirage au sort. Même chose pour la bibliothèque. Avec, ironie du sort, la collection “Que Sais-Je ?” qui est revenue aux Flamands et les livres du “Davidsfonds” au Francophones. »
Des traducteurs dans des piercings
Et de conclure : « Ce qu’on avait mal mesuré, c’était l’anglicisation des études. C’est aujourd’hui la règle en sciences. Même dans ma spécialité, les sciences économiques, tous les doctorats de ces dix dernières années ont été écrits en anglais. Dans quarante ans, nos arrière-petits-enfants pourront aller sur la Place céleste à Pékin, y parler flamand ou français et se voir répondre en chinois, mais tout le monde se comprendra grâce à des traducteurs installés dans des puces miniatures. Par exemple dans des piercings placés dans les oreilles, le nez ou ailleurs, et qui auront alors une réelle utilité. Ce sera le miracle de la Pentecôte ! »
Concernant le Musée L, il a plaidé pour la création d’un musée rotatif avec Louvain : « C’était la proposition que j’avais faite en son temps et qui n’avait pas été retenue. Comme je suis toujours président du conseil d’administration de l’UCL-KUL, qui n’a pas été dissous et qui n’a plus été réuni depuis 52 ans, il est peut-être encore temps de relancer l’idée… »
Favoriser la « coopéition »
Enfin, Mark Eyskens a surtout plaidé pour une « coopétition » entre l’UCL et la KUL : « En économie, ce terme fait la jonction entre la coopération et la compétition. Le plus grand challenge est aujourd’hui éthique. C’est quoi le bien et le mal ? Le bonheur, la souffrance, cela sert à quoi ? Les droits humains, quel en est le contenu ? Qui décide ? Il y a bien une Déclaration universelle des Droits de l’Homme, mais comment l’applique-t-on ? Le faire ensemble serait faire œuvre de courage, afin de créer un avenir dans lequel la population pourrait avoir confiance. Je ne suis ni optimiste ni pessimiste, je suis mélioriste. »